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Le théâtre sans trac, ça n'existe pas !
The Theatre Academy - Aix-en-Provence (Cher journal | semaine 49/2019)
Il n’y a pas que les élèves qui ont le trac… Chaque jeudi, alors que je prends ma voiture pour aller à Aix donner mes cours à la Theatre Academy, je connais cette petite montée de stress qui n’est pas si désagréable. Je profite de la route pour revoir dans ma tête les grandes lignes des trois cours qui m’attendent :
- les exercices d’échauffement : ok c’est bon.
- les expériences d’impro : oui, j’ai des idées.
- Ne pas oublier les devoirs surprises !
- Trouver les mots justes et les bons conseils sur les scènes préparées…
Je me gare assez loin du théâtre, ce qui me laisse encore du temps de marche pour fignoler mes idées et laisser monter encore un peu de trac. J’aime arriver le premier à la Fontaine d’Argent pour pouvoir tranquillement ouvrir, régler l’éclairage, ranger ceci ou cela… Et attendre les « jeunes », les 9-12 ans, qui forment mon premier groupe. C’est le moment où le trac est à son comble, juste avant que « ça » commence. Sensation très spécifique que ne connaissent que les comédiens : ce stress presque joyeux, ce pincement au cœur qui rappelle l’amour, ce désir d’y aller, enfin, là, maintenant, devant le public qui nous fait autant envie que peur. Le trac, quoi ! Ce sublime état où l’on est suspendu au dessus d’un vide où l’on sait qu’on va plonger avec délice…
Les élèves arrivent. « Bonjour Lola, Rose, Stellan… Bonjour les garçons… Installez-vous… Qui est absent ? » On commence un peu en retard. Tout le monde est excité. Les jeunes sont impatient d’aller sur scène. Ils m’assaillent de questions, d’informations : « J’ai oublié mon texte. » « J’ai fait le devoir surprise. » « Je peux passer en premier ? » C’est parti pour un mini marathon : 4h45 non stop de théâtre. Il n’y a plus trace du trac, maintenant, nous sommes ensemble dans l’action.
Évidemment, le cours bien préparé doit s’adapter aux surprises nombreuses qu’apportent les élèves, leurs imaginations, leurs envies. Ce jeudi, par exemple, les jeunes s’amusent tellement dans l’exercice improvisé de « vendre leur camarade », qu’on a pris du retard et que nous ne pourrons pas passer tous les textes préparés à la maison. Mais ça ne fait rien : ils ont travaillé autre chose et certain semblent avoir pris un grand bol de confiance arrosé de rires.
L’exercice de « vendre leur camarade » a si bien marché avec les jeunes que je décide immédiatement de le recycler avec le groupe suivant, le groupe « Spécial humour » ! Patatras ! Ça ne fonctionne presque plus du tout ! Les adultes sont trop polis ou trop respectueux. Ils n’osent pas. Cela ne fait rien. Je rebondie vers un autre exercice avant de passer aux travaux individuels… Et aux éclats de rire ! Alexandra et Émeline ont particulièrement bien et profondément retravaillé leurs textes. Chacun y va de son retour, de son analyse… Je n’ai presque rien à ajouter ! Magie du théâtre : ce travail individuel est repris en collectif et chacun avance dans sa direction propre, mais avec les autres. Puis vient le tour de Karine et j’ai bien cru que nous allions être nombreux à mourir de rire !
Mais déjà 20h ? Vite vite… le groupe suivant doit déjà attendre dehors… On se dit « au revoir » un peu trop précipitamment. « A le semaine prochaine ! » et, en effet, le groupe « Impro du jeudi » arrive… groupé. Ils sont impatients ! Ils veulent y aller, improviser, tout de suite… Il faut un peu les sermonner pour qu’ils acceptent de s’échauffer un peu avant, quand même. Pour moi c’est le moment où je puise dans mon second souffle, dans les réserves. Ça me rappelle quand je suis comédien et qu’il faut aller chercher au bout de soi ce qu’il faut d’énergie pour finir la pièce, pour tout donner au public.
De toute façon, les élèves du groupe ont une telle patate, qu’il suffit presque de se laisser porter. Au programme ce jeudi ? Des impros « sans parler » et d’autres « en chantant ». Je m’attendais à des difficultés, des réticences, des peurs… Il y en eu, forcément, mais si peu ! Bien au contraire, certains et certaines se sont particulièrement révélés dans ce genre d’exercice. C’était beau, c’était fou, c’était du beau théâtre tout en vie et en chair.
Il restait 10 minutes à la fin du programme. Nous aurions pu en rester là, se dire au revoir… Mais non, la soirée était trop belle pour l’écourter. Une « impro à beaucoup » ? Chiche ! Deux groupes de 5 et 6 élèves, des tableaux vivants, de l’humour et une divine Bacchus plus tard… Oh, on a un peu dépasser l’heure de fin ? Mais c’était, au final, comme des rappels au théâtre : faire durer un peu plus le plaisir d’être ensemble.
21h55 : je ferme la salle. Les élèves partent devant, toujours en groupe… ils vont boire un verre bien mérité. Je noue mon écharpe et un peu fatigué, je souris. Je repense aux jeunes, au groupe « Spécial humour » et au groupe « Impro du jeudi »… Qu’est-ce que j’aime donner ces cours !